Combien faudra-t-il de communiqués de presse, de grèves du personnel et de fermetures de lits pour que le gouvernement se saisisse enfin du problème ?
Dans une enquête SFGG inédite menée en janvier 2023, la SFGG a recueilli le témoignage de plusieurs centaines de praticiens en gériatrie. Il en ressort, d’après le Pr Cédric Annweiler, coordinateur de cette étude, que “chaque niveau de la filière gériatrique hospitalière est touché par des fermetures de lits et des diminutions d’activité”.
“Nous avons dépassé le stade du cri d’alarme” explique le Pr Nathalie Salles, gériatre et Présidente de la SFGG. “Nous ne sommes plus au bord du gouffre, nous sommes dans le gouffre”.
Le Plan Solidarité Grand Âge de 2007-2012 préconisait comme axe prioritaire d’adapter l’hôpital aux personnes âgées.
16 ans plus tard, impossible de dire que les paroles ont été suivies d’actes.
Fermeture de lits gériatriques : du “bricolage à tous les étages”
La SFGG a mené en janvier 2023 une enquête France entière pour dresser un état des lieux des fermetures de lits gériatriques dans le pays. Et les résultats sont tristement éclairants :
“34,7% des unités gériatriques sont touchées par des fermetures de lits en janvier 2023 parmi les établissements qui ont répondu à l’enquête. Et dans ces unités, 25,7% des lits sont fermés”.
En effet sur 792 services de gériatrie implantés dans 72 départements en France rapportés dans notre enquête (159 courts séjours gériatriques, 153 SSR gériatriques, 124 USLD, 137 EHPAD, 121 HDJ/HDS gériatriques, 126 EMG intra-hospitalières et 98 EMG extrahospitalières), 278 services sont impactés par des fermetures de lits,.
“La raison avancée le plus souvent par les personnes interrogées est le manque d’effectifs infirmiers puis médicaux et aides-soignants, de jour comme de nuit” explique le Pr Cédric Annweiler, gériatre au CHU d’Angers et coordinateur de l’enquête. “Et chaque niveau de la filière gériatrique hospitalière est concerné par des fermetures de lits et diminutions d’activité : les SSR (les plus touchés), les activités programmées ambulatoires (hôpital de semaine, hôpital de jour) mais aussi les activités gériatriques non programmées (unités de médecine gériatrique aiguë, ou de post-urgence) et les structures d’hébergement (USLD, Ehpad)”.
“C’est une situation que nous aurions pu anticiper il y a plusieurs années et ce n’est pas faute d’avoir tiré à plusieurs reprises la sonnette d’alarme…”
Ces fermetures soulignent le besoin de penser parcours et filières de soins, de calculer les effectifs en fonction de la charge en soins et d’avoir des organisations flexibles capables de se déployer en cas de crise sanitaire.
La gériatrie, un secteur avec une charge en soins très lourde
La pression démographique montre que le nombre de personnes âgées à l’hôpital augmente. Pourtant les services de gériatrie sont encore trop souvent perçus comme des compléments ou des variables d’ajustement en cas de difficultés dans les autres services. Pour preuve, le manque de moyens – et donc le manque de considération – dont souffre la gériatrie depuis toujours. Alors que les urgences sont prises d’assaut par les patients âgés, la gériatrie garde des lits fermés durablement. Faute de ressources humaines ? Pas seulement.
“Le principal responsable est la charge en soins qui reste très lourde ; et refuser de parler de ratio revient à nier les besoins réels du patient hospitalisé et la globalité de l’aide à apporter, qui comprend une expertise clinique et technique, un soutien psychologique et une lutte contre la dépendance liée à la maladie et au système de soins défaillant” explique le Pr Nathalie Salles. Les missions de la filière gériatrique sont toutes mises en tension en raison d’une insuffisance de ressources.
Dans cet objectif, le système hospitalier doit pouvoir faire face, non seulement à l’accroissement du nombre de personnes âgées, mais aussi répondre à leurs besoins spécifiques en particulier à celles qui sont polypathologiques et fragiles. “Seule une offre de soins adaptée est susceptible de leur assurer un parcours sans perte de chance et de réduire le risque d’installation ou d’aggravation d’une dépendance”.
L’attractivité des métiers du Grand Âge en question encore et toujours
La raison avancée le plus souvent par les personnes interrogées est le manque d’effectifs infirmiers, médicaux et aide-soignants, de jour comme de nuit. Pour favoriser la réouverture des lits, nous n’avons pas le choix : il faut améliorer l’attractivité des métiers du grand âge à l’hôpital. C’est-à-dire :
- une meilleure valorisation financière (prime grand âge pour les infirmiers, valorisation des salaires de nuit),
- le déploiement de nouveaux diplômes (dont la reconnaissance des IPA grand âge)
- la reconnaissance de la complexité et la dureté du travail.
Il est temps de respecter les ratios soignants/soignés efficients tel que proposé dans la circulaire du 28 mars 2007 relative à la filière de soins gériatriques qui devrait devenir opposable.
“Une dégradation des soins qui n’est pas digne de notre pays”
Ces fermetures de lits et le manque de soignants ont des conséquences graves sur notre système de santé, à commencer par :
- les services d’urgence, manquant de lits d’aval sont incités à organiser des retours à domicile prématurés de patients âgés avec un cortège de conséquences délétères,
- les malades âgés dont l’état de santé devient de plus en plus préoccupant en raison des retards d’accès aux soins appropriés
- des personnels épuisés par les conditions de travail qui se sont dégradées, de nombreux départs et aucune perspective fiable de recrutement
Quand aurons-nous, en France, le niveau de soins que méritent nos séniors ?
Nous, professionnels de la gériatrie et la gérontologie, prenant en soin les personnes âgées en France, demandons de toute urgence au Ministère de la Santé et au Président de la République d’engager des mesures courageuses pour la filière gériatrique. Il ne s’agit pas d’”un caprice des professionnels, mais des mesures nécessaires pour préserver un soin décent pour nos aînés” exhorte le Pr Nathalie Salles.